Visages d'Ancêtres, Retour à l'île Maurice de la collection Froberville

Visages d'Ancêtres Retour à l'île Maurice
C'est au Château de Blois que nous avons découvert une exposition absolument incroyable. Un morceau d'histoire bouleversante.
Depuis 1934, les réserves du château royal de Blois abritent une collection d’une cinquantaine de bustes réalisés à l’Île Maurice en 1846 par l’ethnographe Eugène de Froberville. Présentée pour la première fois au public, aux côtés d’archives inédites, cette collection est un témoignage extraordinaire de l’histoire d’hommes déportés de l’Afrique orientale, et asservis à l’Île Maurice et à la Réunion, au début du XIXe siècle. 
Comment les visages de ces esclaves à l'île Maurice se sont retrouvés dans les réserves du Château de Blois ? Tout commence en 2018, lorsque l'historienne Klara Boyer-Rossol localise la collection de bustes au château de Blois! Elle accède ensuite aux archives privées d'Eugène Huet de Froberville et sort de l'oubli ces ex-captifs africains, les identifie et retrace leur parcours, leur rend la parole et permet à leurs descendants de retrouver leurs ancêtres. Leur départ vers le Musée Intercontinental de l’Esclavage à l’Île Maurice est prévu en 2025.

En 1846, l'ethnographe, Eugène Huet de Froberville effectue une étude sur « les races et langues de l’Afrique orientale au sud de l’équateur ».  Lui qui est né à l'île Maurice d'une famille aristocratique franco-mauricienne établie dans l'île depuis la fin du XVIIIème, propriétaire d'esclaves, était un riche rentier. Sa famille a quitté Maurice en 1827 pour s'installer en France, il hérita de son père, d'une grosse fortune due à la vente de denrées coloniales, comme le sucre, ce qui lui permit de consacrer sa vie aux arts et sciences. 
Visages d'Ancêtres Retour à l'île Maurice
À cette époque, l'anthropologie, aussi nommée "science des races", cherche à déterminer si les êtres humains ont une origine commune ou si il existes différentes "races". Une science comparative qui s'appuie sur des collections, de bustes, cranes... pour étayer des théories. C'est dans ce cadre que fut rassemblée la collection de Froberville et qu'il mena ses enquêtes. 
À Maurice, où Eugène de Froberville séjourna plus d’une année (de décembre 1845 à février 1847), les principaux lieux de l’enquête étaient Port-Louis et le site de La Barraque dans le sud de l’île. Cette usine sucrière, ainsi que les anciens esclaves qui  travaillaient la canne à sucre, avaient appartenu aux Froberville. 
Il va interroger 350 anciens captifs africains, qu'il nommait "Mozambiques", arrivés là lors de la traite illégale des esclaves.  Grâce au travail de l'historienne Klara Boyer-Rossol,  140 ex-captifs sur 350 interrogés à Bourbon et Maurice ont été identifiés, leur origine et parcours de vie révélés. Et ceci grâce à tout ce que Froberville va rassembler dans ses carnets de note, une grande quantité de données, un corpus de 2000 pages, l'objectif ne peut cependant pas être ignoré, il s'agissait d'établir une classification systématisée et hiérarchisée des êtres humains.  « Je passais mes journées à interroger ces malheureux esclaves, à écouter la navrante histoire de leur vie », écrivait en 1846 Eugène de Froberville.       
C'est parce qu'il parlait et comprenait le créole qu'il a pu échanger avec eux et rassembler ces données, aussi bien à la Réunion qu'à Maurice, et peu importe ce que l'on en pensait!
 « Les colons ne pouvant comprendre l’intérêt que j’attachais à ce travail, quelques-uns souriaient de mépris. Causer avec un Noir, chercher sous cette laide enveloppe des sentiments et des idées ! Il faut avoir bien du temps à perdre ! disaient-ils », écrivait Eugène de Froberville. Les discussions avec les maîtres et les témoignages des esclavisés l'auraient convaincu de la nécessité d’abolir l’esclavage dans les colonies françaises, tant la violence de cette institution était criante à Bourbon. En particulier, la brutalité des femmes propriétaires envers leurs esclaves était terrifiante.  L’esclavage a été aboli quelques années plus tôt sur cette colonie britannique, mais les conditions de travail n’ont que très peu changé pour les anciens esclavisés. Ceux-ci ont souvent été déportés depuis les actuels Mozambique, Tanzanie et Malawi.  
Il recueille des témoignages bouleversants, de la violence de l'esclavage, il consigna dans ses carnets les vocabulaires usités, des itinéraires, des chants, des contes, des esquisses, des correspondances qui aujourd'hui représentent une source incroyable d'informations. 11 carnets, des dessins, des cartes, une riche correspondance, permettent aujourd'hui de mieux appréhender cette histoire. 
Le fait que d’anciens captifs depuis parfois plusieurs décennies, aient maintenu le souvenir, la pratique de langues africaines, apparait comme une forme de résistance culturelle contre le processus de déshumanisation de l’esclavage. 
Il y a ces écrits mais il y a aussi les bustes de platre réalisés en 1846 par Froberville  sur ceux qu'il interrogeait. C'est une collection exceptionnelle. En 1849, il souhaite en faire don au Museum national d'histoire naturelle, qui n'en veut pas. La collection reste alors chez lui, au château de la Pigeonnière. Quand le château est vendu, son fils vend la collection au Museum d'histoire naturelle de Blois qui la transfèrera au Château de Blois pour la protéger pendant la guerre. La collection comprend aujourd'hui 53 bustes.
Si les bustes avaient été réalisés pour justifier une classification dite des « races humaines »,  Froberville considérait ses interlocuteurs comme des individus à part entière, avec leur langue, culture, histoire. Et c'est ainsi qu'à l'avant des bustes sont inscrits les races, à l'arrière se trouvent les noms qu'ils portaient dans leur société d'origine en Afrique et le nom servile qui leur était donné à leur arrivée à Maurice. Pour autant ces moulages ont été réalisés sur des êtres vivants, c'est pour ceci qu'ils ont les yeux fermés. On ressent bien sûr la soumission pour avoir accepté d'endurer ceci mais si aujourd'hui les bustes sont exposés c'est à la demande des descendants. 

Un nom en particuler est le symbole de cette pratique! Les Lily représentent un groupe important dans l’enquête d’Eugène de Froberville. Il s’agissait de captifs vendus de l’actuelle Mozambique qui ont été emmenés dans un navire de traite brésilien en mai 1840. Ce navire a été intercepté par une patrouille britannique voyageant à bord d’un navire baptisé le « Lily » qui a transféré les captifs à Port-Louis. C'est le nom du navire qui a été transmis de génération en génération et a servi de patronyme! 
Le travail de l'historienne a été de retrouver leur identité propre, de rattacher chaque buste au récit des carnets, à sa langue, sa culture, son pays. Ce faisant, elle a offert à chacun une famille, une nouvelle identité. 
La restauration de ces bustes, assurée par Laure Cadot et Delphine Bienvenut, a remis en lumière l’humanité de ces visages, et des restes organiques (poils, cheveux) ont même été retrouvés sur certains.
Cette collection exceptionnelle a été présentée au public pour la première fois au Château de Blois, et elle quittera le Val de Loire en décembre 2024 : les bustes vont être transportés en 2025 à Port-Louis, à l’Intercontinental Slavery Museum de l’Île Maurice (inauguré le 4 septembre 2023). C'est un prêt pour une durée de 5 ans dans le cadre d'un accord entre la ville de Blois et le musée.  Morgane Lecareux, responsables des collections au Château musée de Blois, et Delphine Bienvenut, restauratrice spécialiste dans les moulages en plâtre, vont en effet former les personnels des musées mauriciens à devenir les nouveaux gardiens de ces bustes.

Quelques dates pour situer le contexte de cette collection.
1835 Abolition de l’esclavage dans la colonie anglaise de l’Île Maurice. L’île était une colonie française jusqu’en 1810. 
 1845 Voyage d’Eugène Huet de Froberville à l’Île Maurice, il y réalise notamment les bustes en 1846. 
1848 Abolition définitive de l’esclavage en France. Après avoir été condamné par la Révolution, en 1794, il avait été rétabli par Bonaparte. 
1934 62 bustes de la collection Froberville sont achetés pour le Muséum d’histoire naturelle de Blois. Ils sont transférés au Château pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1950, et il en reste 53. 
2001 La France adopte la Loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité (« loi Taubira »).


Ce travail à partir de la collection de Froberville, aura permis aux descendants de ces ex-captifs de découvrir des visages, des parcours de vie, leur origine, et c'est là le merveilleux de cette exposition. 

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